Manager avec ou sans effort ?

Lorsque nous rencontrons Mathieu, directeur des opérations, il est sous pression. « L’avenir des usines dépend de moi ! » Nous dit-il, « et de ma capacité à faire en sorte que ses équipes soient responsabilisées ». Il travaille comme un fou, son attention à lui-même, à son équilibre personnel, et à ce qui se passe dans la relation est faible. Il parle toujours des autres, qu’il a tendance à accabler, tout en détournant les questions des coachs qui pourraient évoquer sa responsabilité dans la situation. Mathieu est très éloigné de l’idée qu’il pourrait agir différemment, car partage la croyance commune qu’en mettant la pression sur les équipes, il le fera avancer plus vite. Pour ce dirigeant, tout est au même plan : l’urgence.

Les paradoxes du manager volontariste qui cultive l’idéologie de l’effort

Scénario de l’excès de yang : Impulser, porter, rythmer lui semble la meilleure chose à faire pour que les choses se passent or elle est contre-productive. Ce paradoxe lui échappe.

Car Mathieu organise tout : de la forme des tableaux Excell de suivi d’activité des usines jusqu’aux plans de table des déjeuners pour les séminaires. Nous avons beau le confronter, il ne réalise pas que plus il en fait, plus il empêche le développement des compétences et l’autonomie de son équipe, c’est-à-dire son efficacité collective et individuelle. Il préfère déclarer que « certaines personnes du codir ne sont pas au niveau pour siéger dans cette instance ».

Il ne semble pas repérer également le cercle vicieux qui se met en place. 

Certes, la sur-activité de Mathieu lui donne une forme de légitimité aux yeux de son manager. De manière générale, plus le manager cherche à montrer sa compétence en résolvant lui-même des problèmes techniques, en mettant en place des process d’optimisation, plus il va obtenir de la reconnaissance de sa hiérarchie. Et en même temps, plus son équipe est disqualifiée, perçue comme incompétente« je fais tout pour cette équipe et pourtant elle n’a que des problèmes ».

L’effet pygmalion fait son œuvre. Plus Mathieu « micromanage », plus il donne l’impression que ses équipes n’en font « pas assez » et ont besoin de lui pour relever leur niveau et plus elles finissent par le croire !

Le management de Mathieu est finalement critiqué par son équipe qui en vient à regretter l’ancien manager … car comment se sentir motivé avec un dirigeant « hyper exigeant et dévalorisant et qui sous-entend que ce n’est jamais assez ? ».

« Un leader trop puissant, trop brillant étouffe son écosystème, comme le conifère qui stérilise la terre par ses épines, son ombre l’assombrit et la prive de soleil » – Notre livre « L’art d’agir sans effort » – page 96

Parfois ces managers qui en « font trop » sont de bons candidats au surmenage. Ils finissent par tomber malades et s’absentent : c’est une loi de la nature, un principe systémique : l’excès de yang entraîne l’excès de yin, ce qui permet à leur équipe de prendre l’autonomie dont elle a désespérément besoin.

« Celui qui se met en valeur n’est pas en vue,

Celui qui se glorifie lui-même ne peut durer » – Daodeling (texte attibué à Laozi il y a 3000 ans)

Scénario de l’excès de yin :  Jules est responsable du marketing digital. Il dit déléguer pour faire grandir ses équipes tout en envoyant un message implicite de se débrouiller seules et ne pas le déranger. Il croit déléguer mais en fait il abandonne son équipe : « Vous êtes tous acteurs et coresponsables de ce qui arrive donc vous devez me donner les solutions. » martelle-t-il.

Alerté sur un conflit entre deux équipiers, Jules dit à Elodie sa n-1 : « ÉcouteRémi est une personnalité difficile, eh bien dis-moi ce que je dois faire pour le gérer ! ». Elle est outrée car Jules, son manager, ne met pas en place les conditions d’un travail collectif efficace et serein pour l’équipe. Il ne clarifie pas les rôles et responsabilités. Il ne recadre pas les comportements non professionnels. Lorsqu’elle lui fait ce retour en pesant ses mots, il répond que cela n’a aucun lien. Il se plaint en disant « C’est la cour de récré ici ou quoi ?! ». Le manque d’une saine autorité crée et entretient des tensions et un sentiment d’injustice délétère. Jules est perçu « vraiment inutile » par son équipe.

Le leadership minimaliste n’est pas l’abandon encore moins l’irresponsabilité comme le pratique Jules. Cela commence par créer un cadre de sécurité dans lequel les équipiers vont pouvoir évoluer de manière autonome en assumant réellement la responsabilité de leurs comportements.

La question n’est pas « Comment agir pour réussir ? » car elle génère le paradoxe du but conscient, c’est-à-dire qu’elle invite fortement le risque d’échec. La question est plutôt : comment pratiquer l’agir sans effort pour que la réussite advienne » ? … Notre livre « L’art d’agir sans effort » – page 98

Agir sans effort n’est pas une recette mais un changement de paradigme : une autre vision du monde. Cela signifie adopter une posture de stratège, ralentir pour écouter, observer, savoir attendre le bon moment et enfin oser s’appuyer sur les autres et le potentiel de situation dans l’environnement.

« La posture minimaliste du stratège de « l’agir sans effort » repose sur un double apprentissage : cultiver l’écologie de soi et l’écologie de la relation pour apprendre à faire « avec son environnement et pas contre » – L’art d’agir sans effort – édition Afnor 2024

Pour peu qu’on leur donne un cadre de sécurité et une destination, les équipiers sont capables de s’organiser et c’est cet « empowerment » qui nourrit leur motivation intrinsèque, pas l’action du manager.

Qu’est-ce qui indique que l’on est dans l’agir sans effort ?

  • Le relâchement du corps, l’absence de crispations et tensions musculaires
  • L’éveil des 5 sens et la connexion à son corps
  • La présence à soi, l’autre, son environnement,
  • L’ouverture à l’autre sans peur
  • Le bien-être : « c’est agréable », sensation de facilité « c’est évident », de fluidité « ça coule de source »
  • Joie liée à la puissance d’être

Chaque fois que vous ressentez physiquement, émotionnellement ces différents indicateurs, c’est que vous êtes probablement dans l’agir sans effort.

Si vous ne ressentez pas ces sensations et ces émotions, c’est probablement que vous êtes soit dans un excès de yin, soit un excès de yang.

Entre ces deux polarités, il existe un équilibre à trouver. On ressent à la fois de l’énergie et de l’apaisement serein lorsque qu’on est en capacité de cultiver des temps yin (longs) de ressourcement/préparation et des temps yang (courts) d’action brève et impactante.

Se transformer avec l’agir sans effort

Mettre plus de yin dans son management

Pour Mathieu, l’agir sans effort suppose d’accepter qu’il fasse partie du système et d’assumer qu’il contribue à l’échec de cette équipe. Il est probablement terrifié par la pression du résultat qui pèse sur lui : il doit « redresser une usine qui contre-performe. La tentation est grande de dire que les autres sont mauvais et de se défausser sur ses équipiers. Car il ne sait pas encore à quel point il pourrait s’appuyer sur eux plutôt que d’aller contre.

Ensuite, il pourrait discuter avec son patron des indicateurs de réussite moins centrés sur sa propre performance (son « faire ») et davantage sur sa capacité à faire grandir l’équipe (son « laisser faire »). Cela l’aiderait à lâcher son besoin d’être aimé, reconnu et sa peur d’être jugé qui le conduit à juger si durement son équipe. Apprendre à faire confiance aux équipiers, c’est déjà les qualifier, les reconnaître capables de bien faire. Il pourrait déposer son armure de héros sauveur.

Des pistes pour lui sont par exemple :

  • Accepter de ne plus animer lui-même les réunions du codir, cela aurait un grand impact sur son équipe et son management
  • En « faire moins » pourrait permettre à son équipe d’être plus efficace, d’abord en laissant chacun prendre sa place, ensuite en les responsabilisant sans les écraser de pression.
  • Mathieu qui est dans l’hypertrophie du « donner » pourrait ainsi apprendre à recevoir de l’aide, des feedbacks, du temps…

Mettre plus de yang dans son management

Pour Jules, l’agir sans effort commence par mettre en place une structure très claire en termes de rôles, responsabilités et périmètres, objectifs, indicateurs et règles de comportements, sur laquelle il pourra s’appuyer. Jules vit avec un grand sentiment d’impuissance car il déteste les conflits et a peur d’être rejeté. A l’instar de Mathieu, il a besoin d’apprendre qu’il fait partie du système et que ses non-actions affectent le système favorablement ou pas.

Lorsque Jules assume d’incarner une saine autorité, il peut facilement prévenir et réguler les conflits. Il joue pleinement son rôle de manager. Cette capacité à pratiquer des moments Yin où il observe ses équipes, où il laisse à chacun la possibilité d’expérimenter, de se tromper, de dire les choses y compris lui donner des feedbacks peut alors se conjuguer naturellement avec des temps Yang dans lesquels ses équipes le voient décider, donner une direction claire, confronter. 

Des pistes pour Jules :

  • Faire expliciter les implicites qui le rendent mal à l’aise
  • Recadrer en se rappelant son rôle manager et que le sujet concerne ses responsabilités
  • Rappeler en fin de réunion les décisions qui ont été prises et celles qui restent à prendre avec les modalités pour y parvenir. Ou demander à ce qu’un membre de l’équipe le fasse.
  • Définir avec son équipe des règles de fonctionnement qu’il confronte lorsque l’équipe s’en écarte.

La voie du milieu, entre excès de yin et excès de yang, est celle d’un équilibre être présent et trancher si nécessaire. Un management dans le déséquilibre créera de la frustration. Cet équilibre requière que le manager puisse se connaitre suffisamment ainsi que son environnement. Cela lui demande de faire de ses ressentis émotionnels et corporels un véritable allié sur lequel s’appuyer tout en étant au clair sur son rôle de manager qui met en place les conditions de coopération, d’efficacité et de développement au service de son équipe et de son organisation.

Manager avec l’art d’agir sans effort ? yes we can !

Article écrit avec Chloé Ascencio

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