« D’abord, il faudrait enlever les araignées au plafond pour que nous puissions mieux travailler en équipe ». Elise, DRH dans un grand groupe, souhaite démarrer le coaching de son équipe par ce sujet. C’est une demande régulière de nos clients : « purger », « vider le sac », voire «crever l’abcès »… Ce processus de « laisser partir » pour faire de la place est certes indispensable pour « laisser venir » du nouveau. La question, c’est le timing et les conditions de réussite pour organiser, en sécurité, un moment de partage potentiellement explosif.
Lorsque les équipes ont vécu des moments difficiles et des épreuves, les relations ont souvent été mises à mal. La confiance est endommagée et la collaboration s’est réduite au minimum, chacun retournant dans son silo pour préserver l’existant.
Depuis un an, l’équipe d’Elise a travaillé intensément sur la mise en place d’une nouvelle organisation. Or l’arrivée d’un nouveau projet a remis en cause et dévalorisé l’énergie dépensée, les heures de travail acharné qui avaient déjà produit des premiers résultats.
L’équipe est soudain à plat ; elle se plaint d’un manque d’énergie et d’envie de s’engager dans ce projet. Elise se sent en difficulté et très seule.
« Enlever les araignées au plafond », comme elle demande, sera l’occasion de revenir sur ce qui a été difficile entre Elise et son équipe, et avec les autres équipes pendant l’année écoulée. Chacun aura un temps pour écouter, parler et ensemble mettre des mots sur les évènements passés. Ce faisant, ils comprendront mieux les comportements, les réactions de chacun mais aussi ce dont ils ne veulent plus dans leur quotidien d’équipe. Cette étape cruciale dans le coaching ouvre un espace pour se parler sereinement et retisser des liens de confiance. La présence structurante du coach permet de créer le cadre de sécurité favorable à un « oser dire » sincère et constructif.
Il existe d’autres situations où nos clients attendent tellement avant de demander l’intervention d’un coach, que les tensions et les conflits sont devenus explosifs. Attentive et prudente, la coach se demandera : « Est-ce le bon moment d’organiser la régulation des relations ? Est-ce vraiment ce qu’il y a à faire en priorité? »
Se dire les choses, toutes les choses, c’est risquer d’en dire trop, de le dire brutalement, avec du jugement qui blesse irrémédiablement, et du coup, d’endommager les relations sans retour possible.
C’est notre apprentissage de l’accompagnement de l’équipe d’Hervé, Directeur R&D, dont les équipiers étaient en conflit depuis plusieurs mois. Lors de la 1ere séance de coaching collectif, ils ont exprimé la demande de « crever les abcès. Nous avons besoin parler des choses qui se sont passées et tant que nous ne le ferons pas, nous n’avancerons pas. »
Or mon binôme et moi avons décidé qu’il était trop risqué de répondre immédiatement à cette demande car l’équipe n’avait pas encore suffisamment développé les compétences relationnelles pour bien vivre une telle séance : respecter et tenir des règles de comportement, communiquer avec calme et clarté, s’écouter les uns les autres, accueillir et intégrer des avis différents.
C’est seulement à la 5ème séance collective que l’équipe a réussi à aborder les non-dits (colère, sentiment de rejet voire de mépris) liés à sa difficulté à prendre en compte les contraintes individuelles de chacun et qui la rendaient incapable d’intégrer de nouvelles personnes et de nouvelles façons de faire. Durant le coaching collectif qui a duré plusieurs mois, l’équipe a appris à prendre du recul sur ses dysfonctionnements pour en parler sans violence et finalement à s’autoréguler en autonomie.
Pour l’équipe d’Hervé, « vider l’abcès » n’était pas le point de départ mais plutôt le point d’arrivée du coaching. Car le besoin de stabilité du système était prioritaire au démarrage.
Tordons le coup à la croyance que « vider son sac » va assurer une remise à zéro de compteur pour l’équipe : On se dit tout et hop ça repart ! Brutaliser un système brutal, c’est faire encore plus de la même chose. L’intention du coaching systémique est de trouver le point d’entrée/levier le plus facile à actionner pour une efficacité maximale.
Ainsi lorsque l’un des collaborateurs d’Eric, Directeur projets, lui reproche d’être violent verbalement avec eux et d’imposer sa loi à tous, ce dernier est sidéré. Eric sent qu’il a perdu son autorité et sa crédibilité et appréhende maintenant les réunions parce qu’il y est systématiquement critiqué par ses collaborateurs. La situation est devenue explosive. « Comment retravailler avec mon équipe maintenant ? » demande-t-il aux coachs.
Plutôt que d’ouvrir tout de suite un espace de parole, les coachs adoptent une stratégie de contournement circulaire. Elles proposent une étape préalable d’entretiens individuels avec chaque équipier. L’objectif est de faire baisser le niveau de tension et de colère en permettant à chacun de poser des mots sur ses ressentis et perceptions vis-à-vis d’Eric.
Suite à cette 1ere étape, l’équipe va apprendre à se dire les choses en collectif. Plusieurs séances en équipe sont nécessaires à l’apprentissage de nouvelles compétences : s’écouter, se dire les choses, intégrer, se reconnaitre mutuellement des compétences… Eric apprend ainsi que le départ brutal de son prédécesseur avait été un choc pour l’équipe. Cette dernière avait besoin d’en comprendre les raisons et n’osait pas questionner Eric. Désigné d’office comme un ennemi car il avait été imposé par la Direction, ce dernier ne risquait pas de réussir sa prise de poste.
Puis vient une 2e étape de reconstruction de l’équipe qui sécurise la « digestion » et la transformation en cours. L’équipe identifie les compétences qu’elle a réussi à développer lors de cette crise avec Eric. Chacun réalise que l’accompagnement pour la traverser ensemble a renforcé les liens. L’équipe se donne de nouvelles règles de fonctionnement, un pacte d’équipe que chacun s’engage à faire vivre.
Le coaching collectif s’est terminé par la co-construction d’un futur commun avec Eric le nouveau manager qui a pu ainsi faire un nouveau commencement et prendre enfin sa place.
Article co-écrit avec Chloé Ascencio