« Oui, je sais!… oui, je connais ça! … »
Lorsque mon écoute ne fait que reconfirmer ce que je crois déjà savoir, je suis en mode automatique, ce qu’Otto Scharmer* appelle “écoute téléchargement”. Le mode « téléchargement » (métaphore de la réutilisation de vieilles solutions, de comportements répétitifs et prévisibles) empêche une personne, une équipe, une organisation d’être présente et ouverte à ce qui l’entoure pour s’y adapter de façon pertinente.
Mathieu qui dirige un département de 50 personnes, raconte en séance de coaching : “Hier dans mon codir c’était Beyrouth, un de mes managers à dit à sa collègue qu’il n’en pouvait plus de travailler avec elle, et du coup, elle s’est mise à pleurer « . Mathieu s’est senti très gêné par ce “genre de débordements” car lui-même ne s’autoriserait jamais à exprimer des émotions au travail. Son comportement “téléchargement” consiste à cloisonner perception et pensée, il devient sourd et muet , comme “déconnecté” de son corps. Ce mécanisme de protection est ensuite verrouillé par un jugement moral : “on a pas le droit de se plaindre, car on a de la chance d’avoir maintenu l’activité malgré la crise”. Ne pas reconnaître ce que l’on voit est, selon Otto Scharmer, l’une des 4 barrières à l’apprentissage qui maintiennent un système coincé en mode « téléchargement » .
La 2e barrière à l’apprentissage c’est de ne pas dire ce que l’on pense, c’est à dire cloisonner pensée et parole: Mathieu se désole : « J’étais pétrifié, j’ai proposé une pause de 5 mn et on a repris la réunion sans reparler de ce qui s’était passé« . Ecouter, cela commence par s’écouter soi-même au sens d’être conscient de ses propres émotions et ressentis et de pouvoir les nommer. C’est la première “compétence relationnelle” que Mathieu souhaiterait renforcer dans son coaching, afin de pouvoir exprimer ses ressentis, manifester de l’empathie et agir au niveau relationnel dans son équipe. Si un manager n’incarne pas cette permission pour ses équipiers, les non-dits finissent par exploser de façon violente.
Sybille, manager dans le retail, tenait l’autre jour un discours paradoxal : « je demande à mes collaborateurs de manager l’humain. Il faut qu’ils échangent du feedback avec leurs équipiers« . Je lui ai alors demandé comment elle faisait, elle, pour donner l’exemple : « Du feedback? Non, moi ça me met mal à l’aise, c’est trop personnel« . Ne pas faire ce qu’on dit, c’est à dire cloisonner parole et action, est la 3e barrière qui génère de la dissonance interne et un manque de cohérence dans les comportements dont Sybille commence à prendre conscience.
La 4e barrière, c’est de Ne pas voir ce que l’on fait, de cloisonner perception et action : « Avant je me disais que si mes collaborateurs ne viennent pas plus souvent dans mon bureau, c’est parce qu’ils sont autonomes. Finalement, peut-être qu’ils ont peur de moi? » se questionne Sybille. Le coaching lui permet de prendre le recul nécessaire et de se “voir faire”. Pour gagner en influence et économiser son énergie, elle a envie d’expérimenter une posture d’écoute plus ouverte et chaleureuse afin de gagner la confiance de l’équipe.
Le systémicien Malarewicz définit ainsi les 3 compétences relationnelles d’un manager : présence à l’autre, l’entendre et lui faire sentir qu’il est important pour moi, savoir donner et recevoir de la reconnaissance et imprévisibilité au sens de capacité à innover constamment pour s’adapter à chaque personne et chaque situation, plutôt que de réagir toujours de la même façon en mode “téléchargement”.
Finalement les moments durant lesquels nous écoutons vraiment sont assez rares car nous avons désappris à écouter. L’enfant fait ça naturellement, avant de perdre, au cours de sa socialisation, cette compétence de curiosité infinie et sans préjugés.
Cela prend quelques mois de réapprendre à écouter vraiment; mais le retour sur investissement est inestimable, pour soi et pour les autres!
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Otto Scharmer, systémicien visionnaire, chercheur en leadership et accompagnement du changement, a développé la notion de Présence et la théorie U qui inspirent ma pratique du coaching.
Article co-écrit avec Chloé Ascencio